Le Traité de Lisbonne – une constitution à vocation mondiale

Joris Larik*
Doctorant en droit
Institut Universitaire Européen, Florence   

Papiers d'actualité/ Current Affairs in Perspective
Fondation Pierre du Bois
December 2010, No 9/ 2010

 

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Le 1er Décembre 2010, le Traité de Lisbonne fête le premier anniversaire de son entrée en vigueur, marquant la conclusion d’un processus de réforme entamé  presque une décennie plus tôt. A la suite de la Déclaration de Laeken de 2001, la Convention sur l’Avenir de l’Europe a été établie, et a abouti au projet d’une Constitution pour l’Europe, qui a été mis en échec par les référendums français et hollandais de 2005. Après une « période de réflexion », le Traité de Lisbonne a été adopté mais seulement après deux référendums en Irlande. Il s’agit d’un document qui n’a pas directement vocation à être une « Constitution » et consiste en deux traités : Le Traité sur l'Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Toutefois, en ce qui concerne le contenu il est virtuellement identique à la Constitution. Tout cela appartient désormais à l’histoire, ou si l’on veut, aux « travaux préparatoires » de ce tournant de la construction européenne. Pourtant, dès lors que le titre de « constitution » a disparu, la réforme de Lisbonne ne représente-elle qu’une réorganisation administrative, une restructuration institutionnelle ?

 

A cette question, on ne peut que répondre par la négative. Dans ce papier, il sera montré que le Traité de Lisbonne introduit des changements fondamentaux dans le droit primaire de l’Union, c’est-à-dire dans sa « Constitution » (la Cour de Justice de l’UE, ainsi que la doctrine, considèrent le droit primaire depuis longtemps comme un droit constitutionnel, nonobstant la terminologie formelle de « traité »). Suite au Traité de Lisbonne, l’Union européenne définit dans son document de base le rôle de puissance qu’elle prétend jouer sur la scène internationale.

Dans la littérature de sciences politiques, cette question était déjà discutée dès les années soixante-dix. Consécutivement, l’Union européenne a été appelée, entre autres, « puissance civile » par François Duchêne, « puissance normative » ou « éthique » par Ian Manners, espace « postmoderne » par Robert Cooper et – de façon moins bienveillante – comme une non-puissance provenant « de Vénus » par Robert Kagan. Cet article tentera d’exposer les réponses que le développement historique de l’action extérieure de l’UE et sa constitutionnalisation récente par le Traité de Lisbonne peuvent fournir à ce débat.  

Etant donné qu’une des priorités originaires de la construction européenne était l’union douanière, visant à un marché commun, la mise en place d’une politique commerciale commune était indispensable. L’Union a également pris assez tôt une place importante dans le cadre de la coopération économique avec les anciennes colonies de ses Etats membres. Constitutionnellement, ces deux aspects se sont traduits par l’introduction de la mise en œuvre d’une politique commerciale commune et de la coopération au développement parmi les « fins » de l’ancienne Communauté (qui a été absorbée par l’Union après Lisbonne). Pour le reste, ces fins avaient toutes un caractère interne. Depuis, l’Union a élargi ses compétences à une multitude d’autres politiques extérieures, surtout après le Traité de Maastricht de 1993 qui a introduit la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), y compris la politique européenne de sécurité et de défense (PESD, rebaptisée « politique commune » par Lisbonne, donc PCSD). Ceci démontre aussi que la construction européenne n’est pas qu’un exercice économique, une espèce de « low politics » selon Stanley Hoffmann, mais est aussi en mesure de s’engager dans les domaines extérieurs traditionnellement au cœur de la souveraineté des Etats membres. Dans le Traité de Maastricht, il était stipulé comme but pour l’Union « d'affirmer son identité sur la scène internationale » et de veiller à « la cohérence de l'ensemble de son action extérieure », sans toutefois préciser le contenu de cette action extérieure ou la nature de l’identité  qui devrait s’affirmer.

Ce contenu, éclairant la nature de la puissance que l’Union veut exercer dans le monde, n’était pas présent dans le droit primaire jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Par conséquent, c’est par celui-ci que le débat politique sur la nature de la puissance internationale que représente l’UE reçoit une réponse constitutionnelle. Cette orientation a été formulée plus particulièrement dans deux dispositions du TUE. L’Article 3, paragraphe 5 TUE définit les buts de l’Union « [d]ans ses relations avec le reste du monde ». Cette disposition occupe une place importante, faisant parti de l’Article qui énumère les buts généraux de l’Union européenne. Autrement dit, c’est en son sein que la raison d’être de la construction européenne est énoncée. Dorénavant, cette raison d’être comprend, au-delà de l’interne, une dimension extérieure explicite. Cette dimension est précisée plus tard dans le Titre V du TUE dans l’Article 21, qui exprime dans le premier paragraphe que « [l]'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde ». En outre, l’Article énumère les fins spécifiques de l’action extérieure de l’UE en reprenant  les concepts préalablement énoncés.

Dans ce qui suit, l’analyse se focalisera sur trois aspects de ce droit positif constitutionnel des relations extérieures qui révèlent l’importance non seulement juridique mais aussi historique du Traité de Lisbonne comme pièce maîtresse dans l’évolution de l’idée de la construction européenne. Ces trois aspects, étroitement liés l’un à l’autre, concernent la paix, les droits de l’homme, et le respect du droit international.

 

La paix figure fréquemment et éminemment dans le Traité de Lisbonne. Dans l’Article 3 TUE cité ci-dessus, elle représente le premier parmi les objectifs de l’Union, en effet le premier paragraphe proclame: « L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. »  Ceci nous ramène à l’origine même de l’intégration européenne, la Déclaration de Schuman de 1950 et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) qui visaient à surmonter les animosités entre les pays européens, notamment la France et l’Allemagne, en intégrant des secteurs stratégiques et en rendant ainsi impossible la guerre entre eux.

Pourtant, dans le Traité de Lisbonne, la contribution à la paix doit être vue dans un contexte beaucoup plus large, bien au-delà de la préservation de la paix entre les Etats membres. Tandis que l’Europe même a été pacifiée, il incombe dès lors à l’UE de contribuer à la paix ailleurs. A cet égard, il est parlant que la paix apparaît pour la première fois dans le préambule du TUE dans la partie consacrée à la Politique étrangère et de sécurité commune où il est indiqué que cette politique renforce « l’identité de l’Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde ». Dans la partie opérative du Traité, la notion de paix est clairement placée dans le contexte des relations extérieures. L’Article 3, paragraphe 5 du TUE stipule que dans les relations de l’Union avec le reste du monde elle « contribue à la paix », et ci-après l’Article 21, paragraphe 2 du TUE évoque comme buts de l’action extérieure de l’Union « de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations Unies ».

Le lien entre la paix et la sécurité est aussi apparent. Concernant la défense de l’Union ainsi qu’au sujet du maintien de la paix dans le monde en général, le Traité de Lisbonne introduit des innovations importantes. Quant à la première, le TUE contient maintenant une clause de défense mutuelle. Selon l’Article 42, paragraphe 5, « [a]u cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies [sur l’autodéfense]. » Ainsi, en 2009, l’UE est devenue une organisation de défense collective, 55 ans après l’échec du projet de la Communauté européenne de défense. Par conséquent, l‘Union de l’Europe occidentale (UEO), un arrangement de défense collective né de cet échec, est devenue obsolète et sera dissoute en mi-2011.

Pourtant, cette obligation de solidarité militaire des Etats membres n’équivaut pas à l’établissement d’une armée européenne. Certes, le Traité envisage dans l’Article 42, paragraphe 2 TUE « la définition progressive d’une politique de défense commune de l'Union » pour  l’avenir. Cependant, il n’y a pas d’automatisme, étant donné qu’un tel pas ne saurait se faire sans la décision unanime du Conseil européen. Sachant qu’il y a parmi les Etats membres des pays neutres (p.ex. l’Autriche, la Suède et l’Irlande) et le Danemark qui s’appuie entièrement sur l’OTAN en matière de sécurité et de défense et qui a donc obtenu un « opt-out » de la PCSD, une telle décision unanime semble improbable dans un avenir proche.

Quant à la paix mondiale, le Traité de Lisbonne élargit la liste des « Missions de Petersberg ». Etablies en 1992, ces missions définissent le cadre d’opération de la PCSD. Avant le 1er Décembre 2009, elles incluaient des « missions humanitaires et d’évacuation », « missions de maintien de la paix », ainsi que « missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix ». Jusqu’à présent, l’UE a lancé plus de vingt opérations, soit de nature civile, soit de nature militaire, en Europe, Afrique et Asie. Avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, celles-ci comprennent selon l’Article 43 du TUE aussi des « actions conjointes en matière de désarmement », « missions de conseil et d'assistance en matière militaire », « missions de prévention des conflits » et «  opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Le Traité ajoute que « [t]outes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. » Cette liste des opérations souligne la largesse du concept de « sécurité » de l’UE, tel qu’il avait été élaboré dans la Stratégie de sécurité de l’Union européenne de 2003. En somme, elle implique qu’il n’est pas seulement nécessaire de refuser la guerre chez soi ou de se défendre contre des menaces extérieures pour contribuer à une paix durable, mais qu’il faille aussi prévenir des conflits ailleurs, s’opposer à leur escalade, ou empêcher qu’ils refassent surface après leur règlement.

 

En ce qui concerne les droits de l’homme, comme avec la paix, le Traité de Lisbonne met en exergue les liens importants existant entre les aspects de politique intérieure et ceux relatifs à la politique extérieure de l’Union. Certes, à l’échelle interne, la protection des droits fondamentaux n’est en rien nouvelle. La Cour de Justice de l’UE, répondant principalement à la pression exercée par les cours constitutionnelles des Etats membres, a, depuis quarante ans, garanti, par l’intermédiaire des « principes généraux du droit communautaire », un standard élevé de protection des droits fondamentaux dans le cadre du droit européen. Ces principes s’inspirent non seulement « des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres », mais aussi « des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré ». Parmi ces derniers, la Convention Européenne des Droits de l’Homme occupe une place particulièrement importante, ce qui implique déjà une dimension extérieure à cet égard. Par le Traité de Lisbonne, ces aspects sont rendus plus explicites. D’abord, le préambule du TUE constate l’origine européenne des « valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine » et affirme qu’elles se sont inspirées « des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe ». Plus concrètement, le Traité rend la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, prononcée « solennellement » en 2000, juridiquement contraignante, de même rang que le droit primaire selon l’Article 6, paragraphe 1 TUE. Plus importante sous l’angle des relations extérieures de l’Union est toutefois l’obligation stipulée dans le même Article que l'Union doit entamer le processus d’adhésion à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Adhérer à cet instrument international est problématique pour deux raisons. Premièrement, la Convention, jusqu'à maintenant, n’est ouverte qu’aux Etats. Deuxièmement, comme la Cour de Justice de l’UE l’avait déjà constaté dans un avis concernant cette adhésion en 1996 (donc non obligatoire à l’époque), soumettre l’ordre juridique de l’Union à la juridiction d’une instance supérieure, la Cour européenne des droits de l’homme, « entraînerait un changement substantiel du régime actuel de la protection des droits de l'homme » ainsi que des implications institutionnelles « fondamentales tant pour la Communauté que pour les États membres ». En conséquence, même si le Traité de Lisbonne donne une compétence explicite à l’Union pour effectuer l’adhésion, les modalités d’un tel pas en avant doivent encore être clarifiées.

Or les dispositions nouvelles du Traité de Lisbonne sur l’action extérieure de l’UE ne concernent pas seulement les droits de l’homme au niveau régional, mais dans le monde en général. Bien avant d’insérer ce but dans le droit primaire, l’Union européenne promouvait, par le biais d’une série de mesures, les droits de l’homme dans le monde. Celles-ci incluent notamment des démarches diplomatiques et dialogues politiques, ainsi que l’offre d’avantages commerciaux aux pays en voie de développement lorsqu’ils ratifient et respectent certains accords internationaux clés en matière de droits de l’homme. L’Union dispose aussi de mesures légales plus dures, comme l’insertion de clauses imposant le respect des droits de l’homme en tant qu’« élément essentiel » des accords commerciaux avec des pays tiers. Celles-ci permettent la suspension d’un tel accord en cas de violations des droits de l’homme dans le pays contractant. De plus, l’UE peut adopter des sanctions économiques contre les régimes responsables de violations flagrantes des droits de l’homme.

Cette gamme de mesures dans différents domaines politiques montre aussi la nécessité d’une action extérieure cohérente. Tandis qu’une protection des droits de l’homme durable ne peut se faire sans le développement économique, des mesures économiques peuvent aussi servir de moyens stimulants ou coercitifs au nom des droits de l’homme. Suite au Traité de Lisbonne, la contribution de l’UE « à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant » dans le monde (Article 3, paragraphe 5 TUE) et l’inspiration de sa politique extérieure par « l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales [et] le respect de la dignité humaine »  (Article 21 TUE) sont devenus des buts explicits. Dès lors, la promotion des droits de l’homme, à laquelle doivent contribuer aussi les autres politiques extérieures, n’est plus une option, mais dorénavant un objectif constitutionnel de l’Union.

 

En dernier lieu, il est nécessaire d’étudier la relation entre l’ordre juridique de l’Union européenne et l’ordre juridique international. Ce thème est tellement large et complexe qu’il comprend et même fusionne les deux aspects mentionnés ci-dessus : La paix et la sécurité internationale comme bien-être du collectif d’un côté, et les droits de l’homme comme bien-être de l’individu de l’autre. A cet égard, le Traité de Lisbonne apporte des innovations considérables. Mais rappelons d’entrée que les éléments fondateurs de la construction européenne comportaient des instruments de droit international – les traités par lesquelles les États fondateurs établissaient la CECA, l’Euratom et la Communauté économique européenne dans les années cinquante. Cela demeure le cas jusqu’à ce jour, au moins d’un point de vue externe, comme l’atteste le titre même du Traité de Lisbonne, signé et ratifié par les « hautes parties contractantes », c’est-à-dire les 27 Etats membres actuels. Toutefois, d’un point de vue interne, la Cour de Justice affirme depuis ses tout premiers arrêts que la Communauté européenne (absorbée par l’Union après Lisbonne) « constitue un nouvel ordre juridique de droit international (…) dont les sujets sont non seulement les Etats membres mais également leurs ressortissants ». Ces derniers peuvent donc se prévaloir directement du droit européen devant les juridictions nationales (le fameux arrêt de van Gend en Loos de 1963), ce droit jouissant de plus d’une primauté sur le droit national des Etats membres (l’arrêt Costa v. ENEL de 1964). Tandis que la référence au droit international était ensuite écartée par la Cour et remplacée par la définition du Traité comme « charte constitutionnelle », l’effet direct et la primauté du droit de l’Union, garantis et supervisés par la Cour européenne ainsi que par les juridictions nationales, ont assuré l’autonomie et l’effectivité du droit de l’Union. 

Or, ces caractéristiques soulevaient la question de la relation de ce « nouvel ordre juridique » avec le droit international public. D’une part, la Cour de Justice dans sa jurisprudence, ainsi que les institutions politiques se sont avérées assez bienveillantes et ouvertes au droit international et au multilatéralisme. De l’autre côté, au fil du temps, l’Union a prétendu à un rôle plus éminent sur le plan international, en préservant l’autonomie de son ordre juridique des influences extérieures indésirables. Dans les exemples les plus connus figure le refus des institutions de l’Union, y compris de la Cour de Justice, d’étendre l’effet direct à l’ensemble du droit de l’Organisation mondiale du commerce. De plus, selon la Cour de Justice, même les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui sont juridiquement contraignantes dans le droit international, ne doivent pas être mises en œuvre dans l’UE d’une manière qui porte atteinte à la protection des droits fondamentaux de l’Union (l’arrêt plus récent, mais déjà fameux de Kadi de 2008). Autrement dit, c’est la Cour de Justice qui détermine dans l’Union européenne si l’intérêt individuel l’emporte sur l’intérêt public, quand bien même son jugement pourrait infliger un coup d’arrêt à l’organe mondial avec la responsabilité principale  du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Le Traité de Lisbonne codifie et consolide ainsi cette double tendance d’un engagement en faveur du multilatéralisme et du droit international, mais sous certaines conditions normatives. Selon l’Article 3, paragraphe 5 TUE, l’objectif pour l’Union est de contribuer non seulement « au strict respect » mais aussi « au développement » du droit international et des Nations Unies. De plus, selon l’Article 21 TUE « [l]'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création », notamment «  la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. » De cette façon, l’Union européenne souligne dans son document constitutionnel qu’elle est distincte, mais non détachée du monde qui l’entoure; qu’elle n’est pas à part, mais qu’elle fait partie du système international. Ainsi, le Traité de Lisbonne rejette une stricte séparation entre une communauté de droit en interne et un système où le droit du plus fort prévaut ailleurs.

 

En  conclusion, cette contribution avait pour intention de montrer comment le Traité de Lisbonne « constitutionalise » la nature de l’Union européenne sur la scène internationale. Eu égard à la profusion de dispositions non seulement procédurales mais aussi et surtout substantielles concernant l’action extérieure de l’Union, l’on peut considérer le Traité de Lisbonne comme une innovation majeure de droit constitutionnel de l’Union. L’Union européenne reconnaît qu’il existe un monde en dehors de sa propre communauté politique et établit des liens et règles fondamentales régissant l’interaction avec celui-ci. Ainsi, le Traité de Lisbonne va plus loin qu’une constitution classique, qui porte seulement sur l’organisation politique interne et qui s’intéresse au domaine extérieur dans le seul cas où il interfère avec le domaine interne. En effet, il renforce considérablement le caractère « normatif », voire « éthique », de la puissance européenne avec une préférence pour des moyens pacifiques, mais qui est néanmoins pourvue de moyens coercitifs, y compris  militaires. De plus, étant donné que les valeurs à promouvoir dans le monde puisent dans celles qui ont inspiré la construction européenne, l’on pourrait en conclure que le but global de l’action extérieure de l’UE est non seulement de protéger mais aussi d’étendre, d’exporter cette zone « postmoderne » dont parle Robert Cooper.

Bien sûr, il incombera aux institutions européennes de mettre en œuvre l’action extérieure de l’UE selon les buts et sur la base des valeurs constitutionnels. Cette tâche s’adresse avant et surtout aux postes créés par le Traité de Lisbonne pour gérer les relations extérieures de l’Union, c’est-à-dire le Président du Conseil et la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎ avec son Service européen pour l'action extérieure. Après tout, une constitution peut définir la nature et l’organisation d’une communauté politique, toutefois elle n’est pas à même de fournir une voix et de l’influence propre dans le monde.

En somme, paraphrasant l’adage de l’homme politique britannique Lord Palmerston, dans un environnement de plus en plus interdépendant et multipolaire, il se peut que l’Union européenne n’aura pas d'amis ou d’ennemis permanents ; qu’elle n'aura que des intérêts permanents. Or, depuis le 1er décembre 2009, ses intérêts dans le monde sont façonnés par lesbuts et valeurs fermement ancrés dans son document constitutionnel.

 

 Pour en savoir plus

COOPER Robert, The Post-modern State and the World Order, London, Demos 2000. 

CREMONA Marise, ‘Values in EU Foreign Policy’, in Panos Koutrakos et Malcolm Shaw (dir.), Beyond the Established Legal Orders: Policy interconnections between the EU and the rest of the world, Oxford, Hart Publishing, à paraître février 2011. 

Duchêne François, ‘Europe’s role in world peace’, in Richard Mayne (dir.), Europe Tomorrow: Sixteen Europeans Look Ahead, London, Fontana, 1972, pp. 32-47. 

Franck Christian et Duchenne Geneviève (dir.), L'action extérieure de l'Union européenne : rôle global, dimensions matérielles, aspects juridiques, valeurs, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant 2008. 

Hoffmann Stanley, The European Sisyphus: Essays on Europe, 1964-1994, Boulder, Westview Press 1994. 

KAGAN Robert, Of Paradise and Power: America and Europe in the New World Order, New York, Knopf 2003. 

KOUTRAKOS Panos, EU International Relations Law, Oxford, Hart, 2006. 

MANNERS Ian, ‘European Union, normative power and ethical foreign policy’, in David Chandler and Volker Heins (dir.),Rethinking Ethical Foreign Policy: Pitfalls, possibilities and paradoxes, London Routledge 2006, pp. 116-136. 

Priollaud François-Xavier et Siritzky David, Le Traité de Lisbonne : Texte et commentaire article par article (TUE-TFUE), Paris, La Documentation Française 2008.

 

* L'auteur exprime sa reconnaissance à Sophie Besancenot, Antoine Duval et Philippe Reyniers (tous chercheurs à l’Institut universitaire européen) pour leur aide et leurs commentaires linguistiques. Toutes les erreurs qui peuvent subsister ne sont imputables qu’à l’auteur.

    

Disclaimer: The views expressed in this paper are those of the author alone and do not necessarily reflect the opinion of the Foundation.

 

 

 

Last Updated on Tuesday, 14 December 2010 09:55