The recipient of the Pierre du Bois Prize in 2024, awarded annually for the best doctoral thesis in International History and Politics defended at the Geneva Graduate Institute, is Dr Kai Habel.
His thesis ‘La Génération de la Bulle: Le Japon face à la question libérale, 1970-1990’ explores’ the theme of liberalism and seeks to determine the evolution of liberal thought in postwar Japan, in order to determine its society’s stance towards this philosophical, political, and social movement. It hypothesizes that Japan experienced during the 1970s-1980s a great moment of liberalization that affected its economic, social, cultural, and identity structures. This period was characterized not only by the conversion of the economy to neoliberalism, but also by the rapid yet incomplete transformation of social behaviors and common values: some form of individualism was celebrated, consumption habits evolved, women were empowered, leisure activities were diversified, and customs were liberalized. Nevertheless, the collapse of the financial bubble in the early 1990s was accompanied by the interruption of this process. Japanese citizens who came of age in the years 1985-1990 have been called baburu-sedai, which means “Bubble generation”. Those belonging to this generation are said to be flamboyant, pretentious, and reckless. Why and how did the process of liberalization, defined as the protection and extension of individual freedoms, lead to the emergence of the Bubble generation? The research attempts to answer these questions.
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To know about our recipient, please find below a copy of an interview conducted by Nathalie Tanner from the Graduate Institute Research Office with Kai Habel ttps://www.graduateinstitute.
Comment avez-vous choisi votre sujet de recherche ?
En tant que Japonais, j’avais une vague connaissance de l’époque de la Bulle (1985-1990), considérée comme l’apogée du succès économique du Japon et le début de son déclin, et j’avais régulièrement entendu parler des divers stéréotypes (négatifs) associés à la génération de la Bulle. C’est pendant ma thèse de master, consacrée à l’évolution des nationalismes au Japon à partir des années 1990, que j’ai commencé à considérer la période de la Bulle comme un sujet de recherche important. J’avais observé que les mouvements nationalistes, particulièrement faibles durant les années 1970-1980, ont recommencé à croître après l’éclatement de la bulle au début des années 1990. J’avais le sentiment que le Japon post-Bulle avait pris un tournant conservateur et que la période de la Bulle et sa génération étaient devenues le symbole d’un Japon excessivement libéral et décadent, ayant oublié ses valeurs et ses mœurs traditionnelles. J’avais vu des émissions de télévision qui décrivaient la Bulle comme une époque folle où les Japonais avaient perdu leur identité d’humbles et de laborieux. L’un des symboles de la période de la Bulle est l’engouement soudain pour les discothèques: en quelques années, danser et flirter en boîte de nuit étaient devenus des activités extrêmement populaires parmi les jeunes Japonais. Tous les travaux académiques portant sur la période de la Bulle l’abordaient d’un point de vue économique. C’est pourquoi j’ai voulu étudier la Bulle dans son ensemble, en prenant également en compte les phénomènes socioculturels.
Pouvez-vous décrire vos questions de recherche et votre méthodologie?
La thèse tente de répondre à la question suivante: pourquoi et comment le processus de libéralisation, qui consiste à garantir puis à étendre les libertés individuelles, a-t-il abouti à l’avènement de la génération de la Bulle, et quelles en ont été les conséquences? Je voulais comprendre pourquoi les années 1970-1980, durant lesquelles le Japon a entrepris de nombreuses réformes libérales, ont culminé avec la période de la Bulle et l’émergence de cette génération si particulière de la Bulle. Pour aborder cette question de recherche, j’ai recueilli des informations et des données provenant de sources diverses. Premièrement, j’ai visité des archives au Japon – les Archives nationales du Japon et les Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères – et aux États-Unis – la Reagan Library à Simi Valley. Deuxièmement, j’ai mené une série d’entretiens individuels avec des citoyens japonais. Cette expérience a été particulièrement intéressante et agréable. Les personnes interviewées partageaient des anecdotes et des réflexions fascinantes sur la Bulle, qu’elles se rappellent comme une période extraordinaire. Troisièmement, j’ai consulté des journaux, des magazines et des livres publiés durant les années 1980 pour mieux appréhender la manière dont les gens percevaient alors leur époque. J’ai notamment mené des recherches à la Bibliothèque nationale de la Diète, qui possède une copie de chaque ouvrage publié au Japon. C’est un lieu fantastique pour les chercheurs qui s’intéressent au Japon contemporain ! J’ai aussi analysé des chansons des années 1970-1980, lu des fictions, étudié les tendances architecturales ou urbaines et regardé des films décrivant la période de la Bulle. Je crois que cette diversité de sources est l’une des forces de ma thèse.
Quelles sont vos principales découvertes?
Je voudrais évoquer trois points que je trouve particulièrement intéressants. Ma première observation se rapporte au rôle des États-Unis: bien que le processus de libéralisation du Japon ait été initialement encouragé par les États-Unis, qui voulaient «ouvrir» une économie japonaise qu’ils jugeaient excessivement réglementée, les réformes socioculturelles sont nées de forces internes. En effet, les dirigeants japonais étaient convaincus que leur pays devait «s’internationaliser» en adoptant des structures libérales en matière de droits des femmes, d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, de politique migratoire et de promotion de l’individualité. La libéralisation du Japon dans les années 1970-1980 a été indubitablement un phénomène impulsé par l’État, mais les transformations qui s’y rattachent ont été largement acceptées par la population.
Ma deuxième découverte concerne la manière dont a émergé la génération de la Bulle. Ses membres ont grandi dans un climat libéral marqué par une réforme de l’éducation promouvant l’individualité des étudiants, le progrès de la consommation et des loisirs, le succès de la musique et des films américains idéalisant l’American way of life et un contexte économique extraordinaire. Le terme de «génération de la Bulle» a commencé à être utilisé dans les années 2000 pour décrire ces jeunes adultes considérés comme inaptes, à la fois par leurs aînés et par leurs cadets.
J’ai réalisé – et c’est mon troisième point – que la frustration envers cette génération provenait principalement de tensions sur le lieu de travail. Les entreprises japonaises sont organisées autour de l’emploi à vie et d’un système salarial basé sur le principe d’ancienneté, ce qui fait de l’âge des employés un facteur important. De plus, la génération de la Bulle a été surreprésentée au sein des entreprises, car ses membres, embauchés durant le boom économique, n’ont jamais eu à craindre la perte de leur emploi en raison de la culture d’entreprise japonaise. Ce poids numérique leur a conféré une grande influence, laquelle a engendré une forme de ressentiment de la part des générations plus jeunes, plus éduquées mais se sentant dévalorisées au travail.
Quelles pourraient être les implications sociales et politiques de votre thèse?
La thèse soulève deux questions sociopolitiques importantes. La première concerne le processus de libéralisation, de démocratisation et d’occidentalisation qui s’est produit au Japon. Je considère que les années 1970-1980 représentent le quatrième grand moment libéral de l’histoire japonaise, après le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple des années 1870-1880, la Démocratie Taisho de 1913 à 1926 et l’occupation américaine de 1945 à 1952. Tous ces mouvements sont demeurés inachevés, dès lors qu’ils ont été suivis de réactions fortes contre les «excès» du libéralisme. La libéralisation des années 1970-1980 a été interrompue par l’éclatement de la bulle. La stagnation économique qui en a résulté a souvent été considérée comme un contrecoup après une ère de surconsommation, d’argent facile et d’immoralité. Cette expérience historique a conduit de nombreux citoyens nippons à considérer l’Île enchantée promise par les partisans du libéralisme comme nécessairement éphémère et superficielle. Il me semble que cette réticence socioculturelle explique pourquoi la démocratie libérale japonaise n’est pas aussi libérale que celles des pays occidentaux.
La deuxième question concerne la gestion de la crise économique. Les entreprises japonaises ont réagi au déclin économique en réduisant les nouvelles embauches et en protégeant leurs employés. Au Japon, les entreprises évitent le plus possible de licencier leurs employés, pour des raisons à la fois légales et culturelles. Cette réponse à la crise ne semble pas judicieuse d’un point de vue économique. Les tensions intergénérationnelles qui ont découlé de cette situation devraient alerter les responsables politiques et économiques japonais sur les risques engendrés par le fait de protéger excessivement les groupes sociaux «dominants» au détriment des jeunes citoyens. Cette thématique pourrait intéresser de nombreux États, à commencer par la Chine, qui doit désormais faire face à de sérieux défis économiques et démographiques.