Papiers d'actualité
Fondation Pierre du Bois
Juin 2009, No 5
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Déclenchée à la suite de la présidentielle du 12 juin, la crise iranienne est certainement la plus grave crise interne qu'ait connue le régime islamique depuis 1979. Elle est encore loin d'être achevée. Cependant, deux semaines à peine après l'élection contestée de M. Ahmadinejad, elle a déjà produit des effets importants tant à l'intérieur du pays que sur le plan international.
A l'intérieur, elle a fait perdre au pouvoir une part importante de sa légitimité. En effet, les élections en Iran – municipales, parlementaires et surtout présidentielles -, n'ont pas pour but la représentation puisqu'elles ne sont pas démocratiques, les candidats étant sélectionnés au préalable par une instance supérieure du régime, le Conseil des gardiens. Ces élections ont un autre objectif, bien plus fondamental pour le régime : la légitimation d'un pouvoir révolutionnaire qui se veut populaire et se présente comme massivement soutenu par les citoyens. Si, comme c'est le cas dans cette élection présidentielle, l'honnêteté du scrutin est vivement contestée par une grande partie de la population, c'est donc bien évidemment la légitimité de tout l'édifice révolutionnaire qui est atteinte.
La deuxième conséquence sur le plan interne est la réaction massive et spontanée de la popula tion iranienne qui, par centaines de milliers de personnes, bravant les dangers et les interdits du pouvoir, est descendue dans les rues pour réclamer ses votes "volés" et ses droits bafoués. Certes, en quelques jours, les forces de répression et les miliciens du régime ont repris, par l'intimidation et la violence, le contrôle de la rue, mais en même temps, ces manifestations ont eu le mérite de permettre aux Iraniens de reprendre confiance en eux-mêmes. Pour la première fois, après tant d'années, les Iraniens se rendent compte qu'ils sont très nombreux à ne pas avoir renoncé à leur liberté et au désir de changement, et qu'ils sont toujours capables, quand l'occasion se présente, de défier l'ordre qui leur est imposé.
Un autre tabou a aussi volé en éclats, celui du rôle du Guide suprême, pierre angulaire de la théocratie islamique iranienne. Le Guide, à l'instar de son prédécesseur l'ayatollah Khomeyni, a toujours voulu se présenter comme une personnalité au-dessus de la mêlée, intervenant en dernier ressort, pour mettre un terme aux divergences opposant les factions rivales. Même s'il n'a jamais été l'arbitre qu'il prétend être et qu'il a toujours favorisé les tendances les plus radicales, il voulait néanmoins préserver cette image de père du régime.
Mais dans cette dernière élection présidentielle, il n'a pu cacher sa préférence pour l'ultraconservateur Ahma dinejad, discrètement au départ, et puis ouvertement après l'élection. Ainsi, l'arbitre qu'il prétendait être est-il devenu la cible des contestataires des résultats officiels du scrutin. Ce qui était impensable quelques jours auparavant s'est produit : des manifestants ont défilé dans les rues iraniennes aux cris inédits de "mort à Khamenei".
Quatrième conséquence : l'approfondissement, sans précédent, du conflit à l'intérieur du sérail de la République islamique. Désormais, un fossé très difficilement franchissable sépare les deux pôles importants du régime. D'un côté, on trouve pêle-mêle, autour de Hachemi Rafsandjani, les pragmatiques, les réformateurs, les modérés, certains conservateurs et, d'une manière particulière, une grande figure religieuse comme l'ayatollah Montazeri. De l'autre, autour du Guide, sont regroupés les ultraconservateurs, la plupart des pasdarans et autres basidji auxquels il faut ajouter certains religieux comme Mesbah Yazdi, qui sont carrément favorables à un "gouvernement islamique", et ne veulent même pas d'une "République" islamique.
Sur le plan régional et international aussi, les conséquences de la crise actuelle sont déjà très nombreuses. Cette dernière a fait perdre au régime une part de sa crédibilité. De manière générale, l'image de l'Iran tant comme "puissance stable" que comme "puissance montante" a été fortement endommagée, en même temps que ses capacités d'influence ont été réduites. Par ailleurs, en Occident, chez ceux qui soulignaient les aspects "démocratiques" du système politique iranien par rapport à ses voisins, il y a une réelle désillusion.
Quoi qu'il arrive, il semble évident que désormais les priorités du pouvoir islamique vont aller avant tout à la gestion de la situation interne et non à la politique extérieure. Par ailleurs, pour les mouvements islamistes en général, chiites et sunnites confondus, qui considéraient la République islamique comme un "modèle", un "exemple" à suivre, la déception est certaine. Des mouvements comme le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et certaines organisations chiites irakiennes, toutes proches de l'Iran, s'inquiètent à la fois d'une diminution du soutien matériel de l'Iran et du risque d'être, eux aussi, touchés par les vagues déclenchées à la suite de la crise que connaît leur allié iranien.
Parmi les gouvernements arabes, l'inquiétude est de mise à Damas, proche de Téhéran, tandis que les autres capitales se réjouissent des revers que connaît M. Ahmadinejad, très populaire auprès de leurs populations, tout en craignant que ces manifestations de masse ne leur donnent des idées.
Quant aux deux questions principales qui préoccupent la communauté internationale, à savoir la question nucléaire et les relations avec Washington, affaires d'ailleurs liées, il est trop tôt pour énoncer un pronostic définitif. Mais prenant en compte la politique passée du tandem Khamenei- Ahmadinejad, il semble improbable qu'ils modèrent leur comportement. Dans leur esprit, il n'est pas exclu que l'option pour une attitude dure soit un bon moyen pour retrouver une crédibilité perdue.
* Cet article est paru dans Le Monde du 1er juillet 2009.
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Last Updated on Wednesday, 24 March 2010 12:02