La commémoration: un outil complexe au service de l’histoire

Olivier Meuwly
Historien, Spécialiste de l’histoire des partis politiques

 

Papiers d'actualité / Current Affairs in Perspective
Fondation Pierre du Bois
No 4, April 2016

 

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Les années se suivent avec leur lot de commémorations diverses. En 2014, à peine s’était-on plongé dans le souvenir des sanglants combats qui endeuillèrent quatre ans durant le continent européen que résonnait dans nos oreilles, l’automne venu, le son lointain des bals qui distrayèrent le Congrès de Vienne, ordonnateur de la fin de l’ère napoléonienne. 2015 n’allait pas être en reste. Marignan prenait vigoureusement le relais des festivités en ramenant dans nos mémoires l’une des plus célèbres batailles de la Renaissance. Son importance pour la Suisse allait donner lieu à de furieuses controverses sur le sens à donner aux événements clé de l’histoire helvétique, que prolongea le rappel d’une autre bataille, fichée au cœur de notre geste médiévale : Morgarten. En 1315, au bord du lac de Zoug, les Schwytzois brisèrent les ambitions des Habsbourg dont le destin, désormais, se tournerait vers l’est. Avec la fin du Congrès de Vienne, acte fondateur de la neutralité helvétique, 2015, condensateur d’anniversaires, remettait l’histoire au centre des polémiques politiques qui animent la Suisse depuis quelques années. L’année en cours et celles à venir ne seront pas à la traîne, en Suisse ou en Europe : Verdun aimante déjà l’attention d’une Europe en mal de symboles fédérateurs, en concurrence avec le centenaire du mouvement Dada. Et 2017 braquera ses projecteurs sur les débuts de la Réforme, événement charnière de notre histoire moderne. Sans oublier les cérémonies ou colloques célébrant la naissance tel ou tel éminent personnage : pensons seulement au 250ème anniversaire de la naissance de Benjamin Constant et, la même année, le bicentenaire du décès de son amie Germaine de Staël…

Mais que signifie en définitive ce besoin de commémorer à longueur d’années, de détourner les esprits vers un passé convoqué pour… quoi en réalité ? Pour fournir aux gouvernements une collection de faits lointains chargés de nous rappeler qu’il convient de se serrer les coudes pour ne pas revivre les horreurs du passé ? Pour infuser une substance inespérée dans un discours politique incapable de se renouveler ? Pour éveiller l’espoir d’un grand rassemblement populaire autour de valeurs consensuelles, au-delà des querelles qu’offrirait la politique quotidienne ? Tout détenteur du pouvoir, à travers les temps, a cherché dans l’histoire la source d’une légitimité qu’il pourrait brandir face à ceux qui lui en disputeraient l’exercice. Assiste-t-on dès lors à une rituelle captation du passé destinée à asseoir des ambitions présentes ou futures ? Ou faut-il discerner dans la frénésie commémorative, qui envahit nos sociétés postmodernes en plein bouleversement, le reflet d’une crise morale où se télescopent ruptures politiques, hégémomie de l’économique et innovations technologiques bourdonnantes ? La  fièvre commémorative possède un avantage, pédagogique : elle permet de réveiller l’intérêt du public pour un passé qui resterait, sinon, méconnu. Mais ne cacherait-elle pas aussi une autre crise, plus sournoise : celle de l’histoire elle-même ?

Pas rares sont les historiens à se poser ouvertement la question. Le médiéviste Patrick Boucheron a évoqué la « fatigue » de l’histoire et s’est demandé, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France en décembre 2015, ce que pouvait faire l’histoire. La spécialiste de la Révolution française Sophie Wahnich lui a fait écho dans la revue Ecrire l’histoire et dans l’émission La Fabrique de l’histoire diffusée sur France Culture. Pour bien montrer que l’histoire, contrairement à ce qui avait été proclamé par Francisa Fukuyama en 1989 après la chute du Mur de Berlin, était loin d’être finie, elle en appelait à une histoire « buissonnante », à l’assaut de nouveaux territoires. L’Américain ne plaidait que pour l’indépassabilité du modèle libéral mais il n’empêche : ce sentiment avait fini par gagner la corporation habilitée à rédiger le grand récit de notre passé. Plusieurs raisons expliquent la relation ambiguë que notre société entretient avec l’histoire et qui interpelle ceux qui ont vocation à en fouiller les recoins. La soif de commémoration cache parfois le divorce survenu entre la société et l’histoire. Depuis le XIXème siècle, l’histoire, hissée au pinacle du savoir, s’était arrogé le monopole du discours explicatif du monde. Elle seule détenait le pouvoir de tracer les lignes d’un avenir dont elle maîtrisait les codes d’accès et les étapes constitutives. Tout le siècle palpitait au rythme d’un progrès inextinguible, dont les historiens, désormais professionnels, composaient l’hymne : les républicains l’avaient inscrit sur leurs étendards, les marxistes en firent l’antichambre du Grand Soir et les libéraux l’assimilèrent à un processus de perfectionnement vers un monde meilleur. Les historiens conservateurs, de leur côté, puisaient dans l’histoire des nations la raison d’être du présent.

La recherche historique, organisée selon des critères scientifiques, avait pleinement adhéré à cette vision de la construction du temps et s’était pénétrée de sa mission de porte-drapeau d’un progrès guide de la modernité. Elle s’était même dotée de nouveaux outils, repoussant, au fur et à mesure que le XXème siècle avançait, l’histoire politique et diplomatique. Elle subordonna le mouvement de l’histoire à la longue durée et aux forces sociales et économiques, puis culturelles dès les années 1970. Les historiens adoptèrent une lecture de l’histoire comme récit anticipateur d’un futur mythifié. La remise en cause généralisée, dès cette époque, de l’ordre social prévalant des deux côtés du Rideau de fer aurait dû les alerter, mais il n’en fut rien. L’histoire « marxiste » régnait en maître dans les Universités dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et apparaissait comme le passage obligé pour saisir l’évolution naturelle des sociétés bourgeoises, épurées de ses miasmes impérialistes. L’histoire encore attachée aux récits nationaux se voyait évincée car porteuse de relents nationalistes. L’histoire critique tenait le haut du pavé, livrait un appareil argumentatif à la gauche, intégrée dans l’Etat « bourgeois » mais jalouse de sa vocation « révolutionnaire ». En face, la droite libérale, au nom de la gestion de l’Etat providence né après 1945, s’était retirée du champ intellectuel et historique : son énergie était absorbée par un système que rien ne devait ébranler.

Les années 1960 marquent cependant une rupture qui va secouer les préjugés tant de la droite que de la gauche. L’attaque que subit la société d’après-guerre, accusée de s’être encroûtée dans une structure trop autoritaire et liberticide, est violente. Une Nouvelle gauche émerge, plus revendicatrice, hostile aux compromis scellés dans un anticommunisme  commun aux socialistes, libéraux et conservateurs, tous ralliés au principe de l’Etat à la fois libéral et providentiel. Le refus de l’autorité, derrière Foucault ou Marcuse, électrise ses partisans. La liberté individuelle doit être totale, contre un Etat « traditionnel » jugé castrateur. Le rejet du cadre de l’après-guerre aura une autre conséquence plus tardive : se dessine peu à peu un libéralisme que l’on qualifiera de « néo », qui poussera l’aspiration à la liberté à son paroxysme en lui associant une liberté économique intégrale, elle aussi rétive à toute forme d’interventionnisme étatique. Mais une constante relie tous ces mouvements : la primauté de l’individu définitivement libéré de la religion, du politique, de la tradition, de tout ce qui rappelle l’ancien temps. Immergé dans une relation réinventée avec la nature, avec l’écologisme ; obnubilé par un égalitarisme absolu comme contrepoids à une autonomie parfois vertigineuse ; arrimé à un marché souverain et seul apte à déchiffrer les besoins de la société, l’individualisme s’installe partout. L’individu roi triomphe. Un conservatisme mal à l’aise avec ces valeurs est encore marginalisé, pour l’instant.

Ce changement de paradigme sera lourd de conséquences pour l’histoire. Avec l’avènement d’un individualisme comme norme de fonctionnement social, le rapport au temps sort déchiqueté. La propension à réduire ses attentes au moment présent se répand ; s’ouvre l’ère de l’immédiat. Les enseignements du postmodernisme, dont la Nouvelle gauche s’était faite l’un des avocats enthousiastes, irriguent la majorité, de droite ou de gauche. Le passé est « dépassé », la coupure avec un temps exerçant une sorte de magistère moral sur le présent et le futur se veut définitive. Le renvoi à Dieu, à toute forme de pouvoir, à un Temps qui imposerait ses dogmes chronologiques est banni. La société doit se percevoir dans une quête d’universalité qui renverserait les frontières. Les historiens cautionneront ce mouvement et n’en apercevront la signification que lentement. Pour l’heure, ils ne voient dans le désintéressement que la société manifeste envers l’histoire que la preuve de la justesse de leur combat pour un progrès qui serait en train d’advenir. En se diffractant, en fuyant des cadres nationaux vécus comme trop étroits, trop imprégnés par les désastres guerriers, l’histoire se considère comme le porte-parole d’une société « soixante-huitarde » assoiffée de liberté et d’inédit. La montée en puissance de la sociologie ou de l’anthropolgie n’est pas perçue comme une menace. Le progrès revêt les habits de la postmodernité, telle que la définit Shmuel Trigano. Mais ils ne voient pas qu’ils adoubent ainsi la sortie de l’histoire, la fin de la temporalité. Que peut faire l’historien lorsque l’on coupe le passé du présent ? Lorsque l’on coupe le fil du temps ?

Sur l’autel de l’homme nouveau en train de se lever, le marxisme, majoritaire parmi les historiens, et revu selon les canons de la psychologie et la révolution « culturelle » des années 60, oublie qu’il sacrifie le progrès et son carburant, le mouvement de l’histoire. 1989 provoque un traumatisme profond : avec la chute du communisme, c’est l’utopie révolutionnaire et le progrès « marxiste » qui trépassent. Les historiens se retrouvent sans projet et avec leurs illusions perdues, que théorisera François Furet. Ils ne peuvent plus comprendre ce qui va se passer dans les anciens pays du bloc de l’est. L’histoire s’ébroue dans d’autres champs, englobe de nouvelles thématiques, s’enrichit de nouvelles méthodes, mais la question de son devenir subsiste. Pourquoi étudier le passé si le passé est mort ? Dès le début du XXIème siècle, une réaction s’esquisse. François Hartog invente le terme de « présentisme », qui avertit du danger que fait courir une « omniprésence » du présent, de l’immédiat. Elle a réduit la chaîne du temps au seul moment présent, dans un discontinuité de l’épopée du monde qui isole davantage l’individu dans sa bulle. Encapsulé dans univers ayant largué les amarres avec la contraintes du temps, celui-ci se déploie désormais dans une liberté flottante. Et François Hartog, avec son collègue Henry Rousso, d’épingler le culte de la commémoration comme l’illustration la plus aboutie d’un rapport au temps désormais biaisé, où ont fusionné passé, présent et futur, concentrés sur le moment présent divinisé. Quant au futur, vidé de son eschatologie d’un progrès auquel on ne croit plus, désormais apocalyptique, il fait surtout peur.

Le langage politique accompagne cette évolution comme le montrent ses épousailles avec le concept de développement durable. A un passé honni pour les dégâts qu’il a infligés à l’environnement, la durabilité, dans l’apparent respect du temps que la notion suppose, répond par un présent qu’il s’agit de préserver dans son état actuel et de transmettre aux générations futures, confrontées à un avenir incertain. Les idées d’évolution et de progrès sont gommées pour laisser la place à un moment présent à répéter à l’infini, au nom d’une nature qu’il ne faut plus toucher. C’est dans ce malaise, face à un futur que l’on ne peut plus admettre comme le résultat d’une progression de l’histoire, qu’a germé le concept de prospective. Au-delà des idéologies, mortes pour les uns ou reconfigurées pour les autres, la prospective vise à imaginer des futurs possibles sur la base d’un présent adossé à un passé bien réel et se ramifiant en des « possibles » ouverts à une diversité de combinaisons. Jean-Luc Guyot a bien décrit l’objet de cette science, thérorisée dans les années 1960 par Gaston Berger, comme une tentative de recréer une temporalité dans un univers qui s’est coupé de ses références liées au temps. Dans une approche prospectiviste, l’avenir redevient malléable, n’est plus figé dans sa claustration « présentiste ». Il récupère une forme de respiration où le temps retrouve sa place dans un monde perçu, à tort ou à raison, comme déserté par le politique.

C’est dans ce contexte agité que l’histoire doit répondre à une demande contradictoire en provenance de la société. D’un côté, elle surgit comme un refuge au milieu d’une ébouriffante mondialisation, un havre autorisant un ancrage salvateur dans un concret visible, comme en atteste l’intérêt croissant pour l’histoire locale ou le succès médiatique de certains  ouvrages. Mais d’un autre côté, elle fait peur, expulsée de son rôle de gardien d’un temps auquel on refuse d’obéir. Comme le signalait Sophie Wahnich, l’histoire se dévoile dans sa nudité, affiche son inutilité aux yeux d’une société obsédée par le moment présent et qui ne lorgne vers le passé que pour se rassurer, l’espace d’un instant. Comme le craignait François Hartog, l’histoire est « patrimonialisée ». Elle demeure un objet d’étude, mais réservé à des observateurs-historiens. Décrypteurs du passé, ils se voient dépossédés de leur fonction prescriptive. L’histoire devient un jardin pour esthètes, dont les conclusions restent du ressort des bibliothèques. Claquemurée dans les musées, abandonnée à un souvenir qui met volontiers en compétition le témoignage avec le document d’archive, l’histoire est mobilisée, ou pour étayer un discours en mal de références, ou pour pallier le déclin des Etats nationaux. Brassant les épisodes de la grande aventure nationale, l’histoire est solllcitée pour ressouder une union nationale effilochée, et se substituer à une absence de projet collectif. Dans leur combat « anti-soixante-huitard », les partis conservateurs « nationaux » capturent dès la fin du XXème siècle l’histoire pour démontrer leur refus de la modernité, quitte à brutaliser la réalité des faits.

Pour les historiens, c’est un nouveau métier qui s’ouvre à eux. Ils avaient pris acte, voire encouragé, l’idée de la fin des nations et leur dépassement dans des entités dont l’Union européenne, notamment, devait constitueur le modèle le plus abouti. Or les règles du jeu ont changé. Qu’a à dire l’histoire dans un monde heureux de redécouvrir l’utilité des frontières, souvent perforées par une abrasive mondialisation ? Qu’a-t-elle à proposer quand les  technologies de l'infomation ont établi leur mainmise sur l’espace virtuel ? Comment se mouvoir dans un réel hypnotisé par une multitude d’écrans ? L’histoire doit-elle se réapproprier l’espace national et revenir à son antique mission : raconter et comprendre la destinée des peuples ? Un retour qui n’invaliderait d’ailleurs pas les thématiques explorées dans le sillage de l’essor de l’histoire économique. Depuis les années 1980, un changement d’orientation est en cours. L’individualisme ambiant avait déjà consacré le retour de la biographie ; le retour de la géopolitique, après la fin de l’empire soviétique, saluera celui du politique, réceptacle des mouvements à l’œuvre dans le corps social. Le politique n’était plus seulement l’infrastructure muette et formelle de la société, réduite à sa seule réalité économique. L’histoire recouvre sa complexité et se réconciliera avec les commémorations malgré leur côté parfois artificiel : outre les crédits que ces grand-messes nationales permettent de débloquer pour la recherche, elles font ressurgir dans le débat public des événements anciens dont les enjeux méritent d’être rediscutés à l’aune des avancées de la science. Elle remettent l’histoire au cœur de la vie sociale. L’histoire peut ainsi affronter les mythes qui la contrefont sous le paravent d’une récupération historique peu encline à contester ses assertions fondamentales.

Mais le temps presse. Car le retrait de l’histoire du devenir du monde a créé un grand vide. Son aveuglement face au besoin d’histoire qui hante subitement les peuples l’a marginalisée. Cette démission a laissé les sociétés occidentales démunies, déstabilisées par un passé déclaré inutile. Comment comprendre les délires de l’économie financière sans entrer dans son évolution? Comment comprendre le renouveau de mouvements nationalistes en Europe et même aux Etats-Unis sans se tourner vers le passé ? Comment enfin s’emparer de la question islamique sans s’accommoder d’une histoire que l’on connaît mal ? Un postmodernisme présentiste faussement épris de liberté et d’autonomie ne peut que paralyser l’humain accaparé par l’avènement de sa singularité comme une fin en soi. Le monde d’après 1989, gravement ébranlé par les crises économique et financière des années 2008 et 2009, est en plein désarroi : les utopies des années 60 et 70 ont échoué à parachever un monde sans passé ni frontière, et les illusions « néolibérales » d’une liberté économique maîtresse du monde se sont effondrées sous les coups d’une crise meutrière. Les gens se sont tournés vers l’histoire… qui n’était plus présente. Ils furent dès lors vulnérables à une histoire remaniée selon les besoins des causes qu’elle était appelée à soutenir. Les grands mythes des histoires nationales furent ressuscités, à la grande stupéfaction d’une histoire scientifique accusée de salir les idéaux des peuples par leurs questionnements intempestifs.

Ce vide, l’histoire doit le remplir, et ne pas s’en effrayer. La corporation historienne a trop tendance à regimber dès qu’un parti aligne des faits historiques interprétés de façon spécieuse. Elle doit taire sa mauvaise humeur et affiner son argumentaire. Les mythes, s’ils sont nécessaires à la construction d’une mémoire collective, posent évidemment problème. Ils ont trop souvent été reçus par des historiens tout à leur postmodernisme postnational comme la réminiscence d’un passé honteux qu’il fallait nettoyer. Ils ne sont pas méprisables en soi. Les partis « néonationaux », s’ils se distinguent aujourd’hui en matière de recours abusif à l’histoire, ne sont pas les seuls à voir dans l’histoire l’allégorie d’un récit national à réécrire. Les partis de gauche ont largement pratiqué cet exercice, jusqu’à confisquer les acquis d’une histoire critique… comme critique de l’adversaire. En Suisse, les socialistes n’ont pas hésité, à la fin du XIXème siècle, à embrigader la figure légendaire de Guillaume Tell pour justifier la générosité de la Suisse, pays de liberté, à l’égard  des réfugiés politiques pourchassés de par l’Europe. Et le mouvement radical a puisé dans l’idéal de la Landsgemeinde des Waldstätten le modèle idéal qui devait inspirer une démocratie de plus en plus directe. Il est en revanche essentiel que les historiens réagissent lorsque l’histoire est étouffée sous un amas d’enseignements outrageant le savoir. L’histoire ne vit que par les questions qu’elle ose poser au passé : les mythes doivent continuellement être interrogés.

Les historiens n’ont pas à se métamorphoser en simples scribes d’histoires nationales qui obéiraient aux attentes présumées du public. Ils ne vont pas changer d’avis. Les craintes exprimées par l’historien israélien Shlomo Sand sont sans objet. Pour lui, toute démarche historienne, même venant de gauche, reste aujourd’hui encore marquée par la mission d’édifier un récit national, comme au XIXème siècle. Pour lui, une histoire digne de ce nom doit se débarrasser de toute référence à un espace national. Nous ne pensons cependant pas que c’est la voie à suivre. Par une approche critique mais subtile des mythes « nationaux », une analyse plus saine du passé peut être abordée, dans la nécessaire jonction qu’il sied de rétablir entre lui, le présent et le futur. Là nous semble résider l’enjeu majeur pour la recherche historique. « Que peut faire l’histoire ? », se demandait Patrick Boucheron. En se réconciliant avec une histoire nationale reconnue sereinement, l’historien pourra réinvestir l’espace du temps pour mieux souligner son rythme naturellement syncopé. Pourquoi tel événement, même non prouvé, a-t-il pris une place si importante ?  L’histoire doit reconquérir sa quête des causalités présidant à son mouvement pour rattraper la temporalité qu’elle avait accepté d’abolir. Elle poura s’emparer à nouveau des frontières, non pour chanter leur rémanence mais pour les redéfinir dans leur modernité : à la fois balise et passerelle avec l’altérité.

 

Bibliographie

FUKUYAMA, Francis (1992) : La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris.

FURET, François (1995) : Le passé d’une illusion, Laffont/Calmann-Lévy.

GUYOT, Jean-Luc (2014): “Temps de crises ou crise du temps”, in Jean-Luc GUYOT et Sébastien BRUNET, Construire les futurs. Contributions épistémologiques et méthodologiques à la démarche prospective, Presses universitaires de Namur, pp. 7-28.

HARTOG, François (2013): Croire en l’histoire, Flammarion, Paris.

MEUWLY, Olivier (2015) : « L’histoire comme objet politique », in Olivier MEUWLY et Pierre STREIT, Morgarten. Entre mythes et histoire 1315-2015, Cabédita, Bière, pp. 75-101.

PETITIER, Paule et WAHNICH, Sophie (2015) : « Avant-propos », La fin de l’histoire, in Ecrire l’histoire, 15, CNRS Editions, Paris, pp. 11-17.

ROUSSO Henry (2012): La dernière catastrophe. L’histoire, le présent, le contemporain, Gallimard, Paris.

SAND Shlomo (2015) : Crépuscule de l’histoire, Flammarion, Paris.

TRIGANO, Shmuel (2012) : La nouvelle idéologie dominante : le post-modernisme, Hermann, Paris.

 

 

 

Last Updated on Thursday, 07 April 2016 18:09