Un Parlement européen en quête de légitimité populaire

Axel Marion
Doctorant à l'Institut de hautes études internationales et du développement (HEID), Genève
Chercheur associé de la Fondation Pierre du Bois 

 

apiers d'actualité
Fondation Pierre du Bois
Juin 2009, No 4 

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Les élections européennes qui se sont déroulées du 4 au 7 juin dernier ont mis en lumière une institution centrale et pourtant méconnue de l'Union: le Parlement européen. Il est en effet paradoxal de constater le manque de connaissance et d'intérêt populaire envers cet organe, alors même que sa fonction est d'être la voix des citoyens au sein des institutions européennes. L'histoire et le statut complexes de cette Assemblée sont des clés essentielles pour comprendre cette situation.

La première assemblée communautaire est apparue dans le cadre du traité fondateur de l'Union européenne, celui établissant une Haute Autorité commune et indépendante pour la gestion du charbon et de l'acier (CECA), signé en avril 1952 par les six Etats fondateurs de la Communauté (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Inspirés par la constitution d'une assemblée parlementaire dans le cadre du Conseil de l'Europe, les négociateurs du traité (en particulier les Néerlandais) demandèrent la constitution d'une Assemblée commune également composée de députés nationaux. Il importe de rappeler que cette institution n'était pas envisagée initialement par les fondateurs de la communauté – Schuman ne l'a par exemple pas mentionné lors de son fameux discours du 9 mai 1950 – et qu'elle était davantage prévue pour assurer un contrôle de l'activité de la Haute Autorité que pour exercer un véritable travail parlementaire. Le traité ne lui accorda d'ailleurs que des compétences très limitées – notamment le contrôle du travail de l'Autorité et a posteriori seulement. Suivant la doctrine fonctionnaliste prévalant aux origines de la construction européenne, tout était mis en œuvre pour assurer une efficacité maximale aux institutions « techniques », dont l'Assemblée ne faisait pas partie.

Les fédéralistes européens étaient les premières victimes de cette situation. Alors qu'une Assemblée parlementaire pouvait être une étape importante vers l'Europe supranationale qu'ils appelaient de leurs vœux, la faiblesse de cette institution n'était pas de bon augure. L'échec du traité de Communauté européenne de défense (CED) en 1954, que l'Assemblée commune avait pris comme base pour élaborer un projet plus ambitieux de communauté politique, condamna ainsi pour longtemps le projet fédéraliste européen. Le fait que ce soit une assemblée nationale – française en l'occurrence – qui condamne la CED était à ce titre un pied de nez douloureux pour les parlementaires européens. Dans le même esprit, les traités de Rome de mars 1957 ne modifièrent pas sensiblement les compétences de l'Assemblée, bien qu'ils la placèrent symboliquement en première position des institutions communautaires.

Malgré ce contexte peu favorable, celle-ci parvint cependant progressivement à renforcer son rôle et développer ses compétences. La collaboration constructive de la Commission et de l'Assemblée – alliés objectifs contre le Conseil, représentant des Etats membres – n'y était pas étrangère. Une étape décisive fut la décision de l'Assemblée en 1962 de se faire appeler « Parlement européen », symbole de la volonté de construire une véritable autorité législative européenne (on peut noter au passage qu'il fallut attendre l'Acte unique de 1987 pour que cette dénomination soit officiellement inscrite dans les traités…). Dans cet esprit, les députés avaient décidé dès 1953 de siéger non pas par pays mais par orientation politique et de constituer des groupes partisans au sein de l'hémicycle.

Les années soixante ne furent pas pour autant la décennie d'affirmation du Parlement. L'échec du plan Fouchet ou la politique de la chaise vide pratiquée par le Général de Gaulle furent autant d'écueils sur la route de la construction européenne, dont l'Assemblée fut également victime. Par contre, l'octroi progressif de compétences budgétaires dès le début des années soixante-dix – notamment un droit de rejet du budget communautaire – donna au Parlement un rôle plus conforme à ce que l'on peut attendre d'une assemblée délibérative. Il resta néanmoins dépourvu de la plupart des compétences législatives habit uelles, en particulier du droit d'initiative. Mais l'élection des députés européens au suffrage universel fut sans doute l'étape la plus importante pour le développement de cette institution, et ce jusqu'à aujourd'hui. Cette réforme avait été formulée dès la fin des années cinquante par les parlementaires européens, mais rapidement mise de côté par le Conseil. Les nouvelles dynamiques à l'œuvre – élargissement à trois nouveaux Etats dont la Grande-Bretagne en 1973, nouvelles compétences pour le Parlement – permirent cependant de faire avancer la cause, et le Conseil admit en 1975 ce procédé. Les premières élections eurent ainsi lieu en juin 1979, portant sur 410 sièges de députés.

Deux constats faits par les analystes et la presse après ce premier scrutin allaient devenir récurrents d'une élection européenne à l'autre : le faible taux de participation (qui, pourtant, se situait encore à 73% en 1979…) et la prédominance des questions de politique intérieure des Etats membres. Les scrutins suivants allaient en effet tous confirmer ces tendances. La participation a ainsi chuté à 59% en 1984 et 1989, à environ 49% en 1994 et 1999, et enfin à 45,5% en 2004 et 43,5% lors des dernières élections. Ces chiffres sont la plupart du temps considérablement plus bas que ceux des élections et votations dans les Etats membres eux-mêmes, ce qui tend à confirmer la faible identification des citoyens avec cette institution. Ce constat doit être mis en parallèle avec les orientations très nationales données aux différentes campagnes européennes. Ces scrutins ont en effet souvent servi à plébisciter ou au contraire à sanctionner le pouvoir en place. On peut prendre pour exemple la récente campagne des élections européennes en France, où deux formations au moins (PS et Modem) ont clairement construit leur discours contre le président Sarkozy – en l'occurrence sans succès notable. Il est aussi possible que le manque d'empressement des personnalités politiques nationales de donner de l'importance au Parlement européen – sans doute afin de préserver au maximum les compétences et la centralité des parlements nationaux – explique le manque d'information et d'identification des citoyens envers cette institution.

Les élections européennes ont été, durant ces trente dernières années, le reflet assez fidèle de l'évolution des sensibilités politiques en Europe. On constate par exemple le tassement de l'extrême gauche (33 sièges en 2009 contre 44 en 1979) et, inversement, l'émergence de la droite souverainiste ou extrême (71 sièges en 2004 contre 22 en 1979, avec certes un recul à 35 en 2009). Comme dans les Etats membres, le mouvement écologiste a également connu un essor important (52 sièges en 2009 contre 20 en 1979). Globalement, la droite libérale et démocrate-chrétienne est restée la force la plus importante du Parlement durant ces trente années, ce que les élections de ce mois de juin sont venues confirmer.

Sur le plan institutionnel, cette période a vu le renforcement des compétences du Parlement – sans compter ses agrandissements successifs suite aux différents élargissements. L'assemblée fut associée plus étroitement aux procédures budgétaires, et obtint surtout dès 1983 un droit de regard sur la nomination du Président de la Commission. L'Acte Unique de 1987 lui offrit également un pouvoir de contrôle sur certains accords internationaux conclus par la Communauté. Enfin, le traité de Maastricht conféra au Parlement un droit de co-décision sur la législation européenne, dont la portée fut étendue avec les traités suivants, et l'associa à la nomination de la Commission dans son ensemble. Ces réformes, couplées au dynamisme dont firent preuve les députés européens, contribuèrent à renforcer la place et le rôle du Parlement au sein des institutions de l'Union.

Pourtant, force est de constater que cet organe n'a pas (encore) trouvé sa place dans le cœur et l'esprit des citoyens européens. Comme nous le suggérons ici, cela s'explique en grande partie par les aléas du développement de cette institution. Dans un audacieux exercice de synthétisation, la situation pourrait être résumée comme suit :

Le Parlement souffre d'un déficit de légitimité, qui découle à la fois de ses compétences tronquées (quoique celles-ci s'approchent maintenant de celles d'un parlement national) et du statut particulier de l'Union elle-même, partagée entre interétatisme et supranationalisme. Cet état de fait empêche une identification satisfaisante des citoyens avec le Parlement européen.

Il manque un espace politique européen unifié. Les élections se déroulant à l'échelle des Etats, sans figures charismatiques transnationales ni véritables partis politiques européens, les enjeux nationaux restent forcément prépondérants. Dès lors, l'information des citoyens n'est ni complète, ni objective. Les projets véritablement européens ne sont donc pas audibles dans ce contexte.

L'avenir dira si l'évolution future de l'Union permettra de clarifier ces questions fondamentales. C'est sans doute à ce prix que le Parlement européen bénéficiera de la légitimité populaire qui lui fait tant défaut aujourd'hui.

14.06.09

 

Pour en savoir plus

Jean-Louis BURBAN, Le Parlement européen, PUF (coll. Que sais-je ?), Paris, 1997

Richard CORBETT et al., The European Parliament (4th Edition), John Harper Publishing, London, 2000

Olivier COSTA, Le Parlement européen, assemblée délibérante, éd. de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 2001

Berthold RITTBERGER, Building Europe's Parliament, Democratic Representation beyond the Nation-State, Oxford University Press, Oxford, 2005

 

 

 

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Mise à jour le Mercredi, 24 Mars 2010 12:03